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Projet Bourgeon | Coopérations Maghreb-Mashrek à l'heure de l'arabisation
Responsable du projet
- Charlotte Courreye, Université Jean Moulin Lyon 3, IETT
Présentation du projet
Ce projet étudie les circulations enseignantes occasionnées par les politiques d'arabisation des Etats maghrébins dans la décolonisation. Entre les années 1960 et le début des années 1990, les constructions nationales de l’Algérie indépendante, du Maroc et de la Tunisie se sont inscrites dans des dynamiques collectives (nationalisme arabe, Ligue arabe, panafricanisme et panislamisme) en même temps qu’elles ont été traversées par des composantes locales (identité berbère, dialecte national, formes de la lutte de libération, nature du lien avec l’ancienne puissance coloniale). Les politiques linguistiques et éducatives conduites au Maghreb en faveur de l'arabisation ont été conditionnées par les réalités pratiques dans les trois pays (Maroc, Algérie, Tunisie) : on y constate partout le maintien de fait de la langue française aux côtés de l'arabe, à cause du manque de cadres formés dans les premières années de la décolonisation. C'est dans ce contexte que des milliers de coopérants arabes ont été recrutés dans les Educations nationales algérienne et marocaine, la Tunisie ayant mené une politique d'arabisation moins tournée vers l'Orient grâce à une formation majoritairement bilingue de ses élites. Ils s'ajoutaient aux coopérations techniques et culturelles avec le reste du monde. Les années 1990 voient les premiers résultats des dynamiques d'arabisation et marquent la fin des grandes politiques de coopération d'enseignants, au profit de recrutements désormais nationaux.
Le coeur du projet est de comprendre les trajectoires de ces enseignants coopérants arabes en Algérie et au Maroc. Il articule ainsi l'histoire transnationale et diplomatique à une histoire sociale, ce que rend possible la méthodologie de l'histoire du temps présent qui se nourrit de la sociologie, de l’anthropologie, des sciences politiques, de la démographie. Le projet est organisé autour de deux axes. Le premier consiste à documenter les motivations et les conditions de la coopération moyen-orientale au Maghreb dans le cadre des politiques d'arabisation, et les relations entre Etats qui les sous-tendent. Le second travaille sur les relectures contemporaines de ces circulations Maghreb-Machrek (Moyen-Orient)de la décolonisation et sur l'idée très présente dans le débat public des sociétés concernées jusqu'à aujourd'hui, d'une arabisation qui se serait doublée d'une islamisation. Le lien bien connu entre langue arabe et islam prend ainsi un tour très concret puisque les enseignants de langue arabe étaient aussi en charge de l'éducation islamique dans l'enseignement public, que ce soit dans les filières générales ou au sein des filières religieuses de "l'Enseignement originel". La nature diverse des engagements des enseignants observée dans le premier axe permettra ainsi de discuter la charge idéologique supposée de l'arabisation étudiée dans le deuxième axe.
Alors que des travaux existent sur le « monde arabe » comme un tout, ou les « mondes arabes » pour mettre en avant sa diversité, sur les échanges culturels entre Maghrébins et Orientaux dans le cinéma ou la sociologie de la littérature, on dispose encore de peu de bibliographie sur l'histoire des circulations entre Maghreb et Machrek en tant que telles, en Europe, dans le monde anglo-saxon mais aussi dans les milieux académiques arabophones. Ce travail vise à décloisonner l’histoire du Maghreb en étudiant la construction de ses relations avec le reste du monde arabe, son investissement dans le nationalisme arabe ou la distance prise avec cette conception selon les périodes et les pays. Les questions identitaires se trouvent souvent au devant de la scène mais les dynamiques socio-économiques étudiées doivent permettre de comprendre la vision des acteurs eux-mêmes et de nuancer la perception qui en est faite. Au-delà d’enrichir les connaissances sur une aire culturelle à une période qui reste encore sous-étudiée, ce projet de recherche apportera ainsi des éléments de discussion sur les cadres administratifs et légaux des circulations humaines et des productions culturelles, sur les rapports à l’État, la singularité ou non des trajectoires individuelles et sur le sentiment d’appartenance à une communauté, qu’elle soit nationale, supranationale ou régionale.
Il s'agit d'écrire l'histoire de cette coopération simultanément par le haut, en étudiant les conditions administratives et diplomatiques de la coopération, et par le bas, en documentant les conditions de vie et d’exercice de ces enseignants. Si les sources existent pour écrire cette histoire des circulations enseignantes interarabes appuyée sur une histoire sociale située, le projet Bourgeon a pour but de financer des terrains pour rassembler des matériaux et sources disparates, qui n'ont à ce jour pas encore été pensés ensemble. Il s'agit de croiser le travail d'archives nationales (des pays de destination mais aussi d'origine des enseignants ainsi que de la Ligue arabe) et de collecte des publications de la période, souvent peu diffusées hors du cadre national (revues des Ministères, circulaires, presse, bulletins syndicaux mais aussi mémoires d'acteurs publiés) avec une enquête par les sources orales sur le long cours, déjà entamée.
Ces séjours de terrain permettront de penser l'élaboration de projets collectifs de plus grande ampleur, en consolidant les premières hypothèses, en ouvrant un réseau de travail international, en vérifiant l'accès aux sources localement et en évaluant le travail de terrain restant à effectuer, tout en commençant à répondre aux questions de recherche. Le dépôt d'un projet IUF Junior puis d'un projet ANR sont envisagés à partir de ces travaux préliminaires.
Dans ce même objectif, le projet Bourgeon financera un premier workshop / journée d'étude en novembre 2025 centré dans un premier temps sur l'Algérie et l'Egypte, dans la continuité des terrains menés dans la première partie de l'année. Cette journée vise à faire dialoguer des spécialistes de l'histoire de l'Algérie et des spécialistes de l'histoire de l'Egypte de la période des années 1960 à 1980, pour mettre à jour les conditions de circulation des personnes, des idées et des méthodes pédagogiques d'un pays à l'autre, dans le contexte des politiques d'arabisation du Maghreb.
Période
2025