• Recherche,

Axe 3 - Migration, frontières, (dé)colonialité

Vecteur 3 : Migration, frontières, (dé)colonialité

Phénomène historique, la migration est une question centrale du monde contemporain, dont la recherche a bien saisi l’enjeu (voir l’Agenda européen en matière de migration). Migrer vers un ailleurs évoque le passage d’une frontière tangible ou intangible (territoriale, culturelle etc.). La frontière, qui induit une mise à distance matérielle (les murs ou les barbelés qui « protègent » les frontières), génère aussi un rejet de l’Autre. La frontière peut aussi être définie comme une limite, une marque visuelle, spatiale ou métaphysique, par exemple entre deux ou plusieurs états-nations, entre deux ou plusieurs éléments, entre deux ou plusieurs bornes, qu’il s’agisse d’une frontière matérielle ou intangible, d’une frontière culturelle ou religieuse, d’une dichotomie entre le « normal » et « l’anormal », etc. Que ce déplacement spatial soit individuel ou collectif, ponctuel ou non (Caren Kaplan) ne l’empêche pas de s’inscrire dans l’histoire personnelle, sociale ou nationale (Bruce King). Dans ses manifestations les plus violentes, le déplacement a contraint physiquement des populations pour les diriger vers des camps de travail, voire vers les camps de la mort, mais il a aussi inclus l’expatriation forcée et massive des peuples africains au cours d’une traite négrière qui s’est poursuivie pendant des siècles (Wendy Walters) : dans ce cadre, la « migration » est devenue un concept dénué de tout sens de neutralité. Partir signifie redessiner un espace, établir une cartographie nouvelle (Deleuze & Guattari, Huggan) et redéfinir des lieux que le migrant cherche à s’approprier pour y refonder son foyer, pour trouver refuge ou s’ancrer dans un univers qu’il tente de faire sien (Imaginary Homelands de Rushdie). Le déplacement et la fracture provoqués par la migration, par le passage de la frontière ou de la limite, offrent ainsi également les conditions d’émergence de pratiques créatives nouvelles, où l’entre-deux, la liminalité et l’hybridité remplacent les normes totalisantes. La migration et les frontières évoquent en outre des déplacements plus métaphoriques qui opèrent au niveau linguistique, dans le sens d’une « translation » en anglais, quand les langues s’imbriquent plutôt qu’elles ne co-existent. Ce vecteur se focalise aussi sur le positionnement d’auteurs ou de traducteurs comme autant de passeurs et médiateurs, ainsi que sur la circulation des œuvres, des idées et des imaginaires, et sur les stratégies de détournement (parodie, subversion, censure/contrecensure, discours/contre-discours). De même, la question des normes discursives et génériques, celle des canons artistiques, de l’expérimentation à partir de la frontière de la norme, ainsi que les problèmes liés à la réception, feront l’objet de recherches. Enfin, la question controversée du colonialisme moderne et les tentatives universitaires récentes de s’y confronter – ce que montre la croissance exponentielle des études postcoloniales au niveau international – se trouvent au cœur des préoccupations de ce vecteur, ainsi que des deux autres vecteurs. Une certaine confusion provient sans aucun doute d’une lecture littérale du terme « colonialisme ». De même que l’Orientalisme ne peut se concevoir comme une critique simpliste de la représentation de l’« Orient », mais bien plutôt comme une lecture eurocentrique des « ombres muettes » (Saïd) — l’étranger, l’anormal, le subalterne et les femmes —, nous considérons que le colonialisme ne désigne pas seulement, aux XXe et XXIe siècles, la colonisation territoriale. En effet, le colonialisme renvoie aussi à un ordre de domination qui a eu un impact international de normativisation et d’hégémonie qui dépasse la juridiction coloniale de quelque pays que ce soit. En effet, la mondialisation peut être comprise comme la continuité du colonialisme moderne qui était lui-même déjà une prolongation d’une homogénocène remontant au moins jusqu’au XVe siècle (Samways, Mann, Su). En s’appuyant sur les activités de recherche conduites pendant le contrat en cours, et en particulier sur la série d’ateliers de recherches sur « Genre, Sexualités, Décolonialité » et « Insularité et (dé)colonialité », ce vecteur 3 permettra de prolonger la réflexion sur le débat universitaire actuel portant sur le sens, la faisabilité et la portée de stratégies visant à décoloniser les connaissances (Mignolo). Cette forme de décolonisation de l’esprit ambitionne de dépasser la simple décolonisation territoriale ayant marqué la seconde moitié du XXe siècle. La réception en France de la condition postcoloniale constituera une dimension supplémentaire de nos réflexions.

Mots-clés : (post)/(néo)colonialisme, (dé)colonialité, esclavage, personnes déplacées, migrants, migration, frontières, hybridité, traduction/translation, réception.

 

Vector 3: Migration, Borders, (De)coloniality

Migration is central to our world both as a contemporary and historical phenomenon and is recognized as a central question in Europe (see European Agenda on Migration). Migrating elsewhere means traversing a territorial border (of a country or nation or other states), exceeding some limit (of a village or tribe, or of a culture or society), or breaking with one’s roots to embark on some new route that may be uncertain and endless. Leaving signifies redrawing a space, establishing a new cartography (Deleuze & Guattari, Huggan) and defining the places that the migrating subjects seek to appropriate, reestablish a home, anchor themselves to, or take refuge in a universe they seek to make their own (Rushdie, Imaginary Homelands). Whether this spatial displacement is individual or communal, unique or recurring (Caren Kaplan), does not prevent it from being inscribed in a personal, social, or national history (Bruce King). In its most violent forms, forced displacement into work or death camps, or the massive, forced expatriation of African people during the centuries-long slave trade (Wendy Walters), "migration" loses any sense of neutrality. However, displacements and the fractures provoked by migrations, by the crossing of a border or limit are also the occasion for the discovery of a new creative space, where the in-between, the liminal, the hybrid replace totalizing norms.

A border, which implies some material distancing (walls or barbed wire that “protects” borders), also generates a rejection of the Other. A border can also be defined as a limit, a visual, spatial, or metaphysical marker, for example, between two or more nation-states, between two or more elements, between two or more landmarks, whether they be material or intangible borders, cultural or religious frontiers, dichotomies between the "normal" and the "abnormal".

Migration and borders also evoke more metaphorical displacements that operate at the linguistic level, when literal translation from A to B becomes linguistic translation across languages, or when discourses manage to intertwine rather than simply co-exist. All the metaphorical repositioning linked to the notion of spatial and linguistic translation may be inscribed within this vector.

Here we shall also focus on the positioning of authors or translators as passers and mediators, and the circulation of works, ideas, and imaginaries, the strategies of disruption (parody, subversion, censorship and counter-censorship, discourse and counter-discourse). Likewise, questions of discursive and generic norms, of artistic canons, of experimentation starting from the border of a norm, as well as issues of reception will be investigated.

Finally, the vexed question of modern colonialism and recent academic attempts to address it, as seen in the international rise of Post-Colonial Studies research centres, is necessarily a central concern of this vector and indeed of the other two vectors. Much confusion arises no doubt from a literal reading of the term "colonialism". Just as Orientalism is not to be understood as a simplistic critique of the representation of the "Orient", but as a Eurocentric way of reading and representing "silent shadows" (Said)—the foreigner, the abnormal, the subaltern and women—, we understand colonialism in the twentieth and twenty-first centuries not as simple territorial colonization, but as an order of domination that had a global normalizing and hegemonizing impact going beyond any one country's colonial jurisdiction. Indeed, the globalizing effect of modern colonialism may be seen as just one period of an Homogenocene stretching back to the fifteenth century at least (Samways, Mann, Su). Building on the research conducted during the current contract and in particular in the series of workshops on "Gender, Sexualities, Decoloniality" and on "Insularity and (de)coloniality", vector 3 will continue to reflect on the academic debate on the meaning, feasibility and extent of proposed strategies for decolonizing knowledge (Mignolo); a form of intellectual decolonization that proposes to go beyond the mere territorial decolonization of the second half of the twentieth century. The recent French public sphere's reaction to efforts to engage in a reflection on the postcolonial condition will also frame further investigation into this subject.

Keywords: (post)/(neo)colonialism, (de)coloniality, slavery, displaced persons, migrants, migration, frontiers, hybridity, translation, reception

- Vecteur 3 - Migration, frontières, (dé)colonialité : Paloma Otaola Gonzalez (paloma.otaola@univ-lyon3.fr) & Min Sook Wang (min-sook.wang@univ-lyon3.fr)